Filles de la Mer de Mary-Lynn Bracht

Filles de la mer est un récit poignant, fort, c’est une véritable claque ! C’est un roman déchirant, à deux voix, dans lequel on suit deux sœurs dans les affres des guerres. C’est un roman avec lequel on s’ouvre à l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale sur l’axe asiatique. De cette lecture, on ressort éprouvé, mais avec un autre regard sur le monde. Avec lui, on découvre le récit d’une femme de réconfort de l’armée japonaise impériale. Vous venez ?

Photographie du roman de mary lynn bracht - filles de la mer
📘 Filles de la Mer de Mary Lynn Bracht aux éditions pocket
📸 Julie – Echo des Mondes

Filles de la Mer – Résumé

Il est parfois plus difficile de respirer en dehors de l’eau que dans les profondeurs des vastes océans…
Sur l’île de Jeju, au sud de la Corée, Hana et sa petite sœur Emi appartiennent à la communauté haenyeo, au sein de laquelle ce sont les femmes qui font vivre leur famille en pêchant en apnée.
Un jour, alors qu’Hana est en mer, elle aperçoit un soldat japonais sur la plage qui se dirige vers Emi.   Aux deux filles on a maintes fois répété de ne jamais se retrouver seules avec un soldat. Craignant pour sa sœur, Hana rejoint le rivage aussi vite qu’elle le peut et se laisse enlever à sa place. Elle devient alors, comme des milliers d’autres Coréennes, une femme de réconfort en Mandchourie.
Ainsi commence l’histoire de deux sœurs violemment séparées. Alternant entre le récit d’Hana en 1943 et celui d’Emi en 2011, Filles de la mer se lit au rythme des vagues et dévoile un pan sombre et bouleversant de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Asie. Au fil du récit, par la grâce de leurs liens indéfectibles, les deux héroïnes nous ramènent vers la lumière, où l’espoir triomphe des horreurs de la guerre. 

Informations sur l’édition

🔖 Edition Pocket (2019)
📖 416 pages

📘 Couverture Filles de la mer, aux éditions Pocket

Filles de la Mer – Avis

Filles de la mer est un récit poignant, fort. Il offre une voix sur les souffrances des peuples pendant la guerre. Loin de la guerre sur le versant européen, nous nous retrouvons propulsés pendant la Seconde Guerre mondiale en Asie. L’auteure nous conte l’histoire de deux sœurs coréennes dont la vie est marquée et traumatisées par la guerre. Bien que jouissant de son statut d’haenyeo (plongeuses en mer de l’île de Jeju – indépendante, pilier de la famille), la sœur la plus âgée se retrouve enrôlée comme femme de réconfort de l’armée impériale japonaise en Mandchourie. La voilà rétrograder au statut d’esclave sexuelle.

C’est un roman à deux voix, déchirant, car ancré dans le réel. Il met le doigt sur l’une des nombreuses atrocités commises sous couverture de la guerre. À cela s’ajoute une fiction qui nous captive, rend humain et actuel les événements retranscrits. Alors oui, ce récit est romancé, Hana et Emi n’ont pas existée, mais elles deviennent des figures des blessures de la guerre et prennent la parole pour que ces atrocités ne soient pas oubliées.

Le récit le plus poignant des deux époques est clairement celui d’Hana, en 1943. Il est narré d’une manière chronologique avec une extrême froideur, un étrange détachement et une précision chirurgicale. L’auteure montre dans des termes crus et sans détour, ce qu’était une femme de réconfort. Rien n’est masqué : du traitement qui leur est réservé, aux souffrances quotidiennes, l’asservissement sexuel est mis en scène dans toute sa cruauté. Bien que cela soit décrit avec un détachement à faire frissonner, une empathie se crée avec Hana. Après tout, elle est une jeune femme (encore adolescente même), déracinée, violentée, violée. Ce qu’elle a toujours été est mort, transformé par la perversion des soldats japonais et les rudes conditions de vie. Elle fait preuve d’un courage hors du commun, et d’une force de vivre admirable !

La seconde voix est celle d’Emi, troublé dans sa jeunesse par l’enlèvement de sa sœur. C’est en 2011, au crépuscule de sa vie, qu’elle cherche à renouer avec le passé qu’elle a souhaité occulté, mais dont l’écho est terrassant. C’est pour faire la paix avec elle-même que toutes ses souffrances enfuies remontent à la surface. Son récit est probablement le plus riche historiquement : soumission des femmes pour être femme de réconfort, oppression japonaise sur les Coréens, guerre de Corée, mariage forcé… Le déroulement de son récit, 68 ans après la Seconde Guerre mondiale permet également de toucher des sujets plus actuels tels que l’homosexualité (dans une moindre mesure), mais surtout la non-reconnaissance des femmes de réconfort coréennes par le gouvernement japonais.

Lorsqu’elle (la guerre) s’arrête, des excuses doivent être faites, des réparations doivent être exigées, et le souvenir des épreuves endurées par les survivants doit perdurer. (…) Il est de notre devoir d’informer les générations futures au lieu de leur cacher les atrocités commises pendant la guerre ou de prétendre qu’elles n’ont jamais existé. C’est en nous souvenant du passé que nous l’empêchons de se répéter. Les livres d’Histoire, les romans, les pièces de théâtre, les films, les monuments commémoratifs sont essentiels pour nous aider à ne jamais oublier, afin de construire l’avenir sur la paix.

Mary-Lynn Bracht dans sa note de fin de roman devient, en quelque sorte, la porte-parole de ses femmes touchées dans leur dignité.
Statut d'une femme de réconfort en Corée du Sud
Statue représentant une femme de réconfort

Mary-Lynn Bracht signe pour son premier roman un grand coup ! Avec son choix de narration, elle montre à merveille l’impact du passé sur le présent. Elle met en exergue les souffrances qui ne meurent jamais, même dans l’oubli des victimes. Le drame reste accroché à eux éternellement et vient obscurcir les moments heureux. Le passé continue de vivre chez les survivants et leurs descendances. La fin du roman permet une conclusion implicite aux deux axes narratifs. Une sérénité est retrouvée, toute en poésie avec les retrouvailles symboliques des sœurs.

Allant plus loin encore, Filles de la mer est un roman sur la place des femmes en temps de guerre. L’écho de ce récit résonne avec une sinistre réalité. Le sort des femmes est bien souvent mis à mal pendant les rudes épreuves que traversent les communautés (Ouganda, Rwanda, Irak, Afghanistan pour ne citer que ceux-là). Comme Simone de Beauvoir le disait : « N’oubliez pas qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilante votre vie durant. »

Si j’ai choisi de lire ce livre, c’est surtout par envie de découvrir un récit, qui, je le savais, serait éprouvant émotionnellement. Ayant toujours été attirée par les productions asiatiques (Sud-Coréenne et Japonaise entres autres), j’ai pu entrevoir ce ressentiment qui existait entre les deux nations. C’est principalement dans les séries télévisées que j’ai découvert les haenyeo, des femmes de courage. Je n’aurais jamais imaginé que cette petite île (Jeju) ait été impliquée, malgré elle, dans ce trafic de femme.

L’histoire de Kim Bok-Dong

Si comme moi, le sujet et le destin de ses femmes vous ont touché en plein cœur, je vous invite à découvrir cette interview poignante d’une des dernières femmes de réconfort, Kim Bok-Dong, réalisée en 2018 par Asian Boss :

Kim Bok-Dong, à 92 ans, témoigne. Elle a 14 ans quand elle est arrachée à son domicile, sous la menace de tout perdre, sous un prétexte. Après un long voyage aux côtés d’une trentaine de femmes âgées de 18 à 20 ans, elle arrive dans une maison de viol, à Guangdong, en Chine. C’est dans la souffrance qu’elle raconte son quotidien, les viols à répétition, les douleurs endurées. Son supplice prend fin à Singapour. Après 8 ans à subir des relations sexuelles forcées, Madame Kim peut enfin rejoindre sa famille. C’est à 60 ans qu’elle trouve le courage d’en parler publiquement pour la première fois. L’objectif qu’elle a toujours recherché, que le Japon présente des excuses officielles, sincères pour les souffrances endurées, et que les livres d’Histoires soient corrigés.  

En savoir plus sur les Femmes de réconfort

Titres de presse, magazine

Témoignage – Femmes de réconfort : « Nous “servions” quinze soldats japonais par jour ».
Brillaud, R. (20 avril 2018) Libération

Femmes de réconfort : Tokyo et Séoul ne referment pas la plaie.
Vaulerin, A. (20 avril 2018) Libération

Les femmes de réconfort : un esclavage d’État ?
Souyri, P.-F. (juin 2016) L’Histoire

Oeuvres

Mangwa – Femmes de réconfort : Esclaves sexuelles de l’armée japonaise
Jung, K.-a. (2007) Au Diable Vauvert ; 6 Pieds sous terre

Si vous connaissez d’autres œuvres (film, série, roman, mangwa ou manga), n’hésitez pas à nous les partager pour compléter cet article !

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2 commentaires sur “Filles de la Mer de Mary-Lynn Bracht”

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